Monsieur le Ministre,
Ce comité technique ministériel de l’Éducation nationale est le deuxième à se tenir depuis votre nomination comme ministre, le premier en votre présence. À travers nos premiers échanges et vos premières déclarations, vous avez tenté de tracer une position d’équilibre, voire d’équilibriste, entre rupture et continuité.
Les personnels attendent cependant une réelle rupture avec la politique menée ces cinq dernières années. La situation dans laquelle est jetée le pays, les fractures et divisions que la politique du précédent quinquennat a aggravées ou créées, les éléments inquiétants de crise que les élections législatives ont révélés, appellent un changement de paradigme de la politique éducative du pays que vos premières annonces semblent pourtant ignorer.
Certes, nous avons noté positivement que, pour vous, « le premier point essentiel […] est de renouer un dialogue sincère et respectueux, mais qui s’était distendu ces dernières années, avec les organisations syndicales et la communauté enseignante. » Gageons que ceci ne soit pas une posture de communication politique mais procède d’une conviction.
Mais sur tous les autres sujets, vous semblez vous inscrire dans une forme de continuité qui ne pourra qu’aggraver les tensions existantes.
M. le Ministre, vous annoncez, dans la poursuite des promesses de votre prédécesseur, des mesures de revalorisation des débuts de carrière (mais sous quelle forme, encore une fois des primes à l’instar du Grenelle ?) pour rétablir l’attractivité des métiers. Pour la FSU, c’est l’ensemble des carrières de tous les métiers qui doivent être revalorisées : ne traiter que les débuts de carrière, de surcroît pour certaines catégories de personnels seulement, donnerait un signal désastreux à la fois à tous nos collègues déjà en poste, qui ont perdu 15 à 25 % de pouvoir d’achat en 20 ans, et à celles et ceux qui se destinent à nos métiers, voués alors à connaître une carrière désespérément plate. Attirer de nouveaux collègues c’est bien ! Les garder, c’est encore mieux.
Et ce n’est pas en exhumant des archives le « travailler plus pour gagner plus » ou l’illusion de remplacements en interne, que nos collègues, de plus en plus nombreux à être tentés par un départ, resteront. Alourdir toujours plus la charge de travail des personnels, alors même que ces derniers sont au bord de la rupture et dans l’impossibilité de se concentrer sur le cœur de leur métier relève d’une continuité désastreuse avec le précédent quinquennat. La FSU réaffirme clairement ce qu’elle portera dans les discussions à venir : la revalorisation des personnels doit être ambitieuse, sans contreparties et doit concerner l’ensemble de nos collègues.
Monsieur le Ministre, dans votre interview au Parisien ce dimanche, vous vous exprimez sur les inégalités scolaires persistantes de notre système scolaire. Oui, notre système éducatif est profondément inégalitaire et le précédent quinquennat a largement contribué à creuser ces inégalités ! Il faudra des actes forts, car l’urgence est éducative et politique. Des élèves et des familles enfermées dans leurs positions sociales d’origine, sans autres perspectives que celle de la reproduction sociale, c’est un terrible renoncement éducatif mais aussi un renoncement mortifère pour la démocratie. En effet en assignant des élèves à leur origine sociale, s’opère alors une rupture amère et pleine de rancœurs avec les promesses de l’École républicaine. La FSU réaffirme avec force que toutes et tous nos élèves sont éducables !
Mais pour lutter contre les inégalités, vous vous inscrivez dans les pas de votre prédécesseur : expérimentation, à l’image de la généralisation de celle de Marseille, sans d’ailleurs avoir attendu un bilan, qui engendre mise en concurrence des établissements et des personnels à travers le redoutable triptyque « autonomie-contractualisation-évaluation » qui a pourtant déjà fait tant de mal aux personnels. Votre projet de concertation locale se place dans cette continuité problématique : alors que de nombreux projets n’aboutissent pas aujourd’hui faute de moyens accordés, le ministère trouverait dans le cadre de concertations locales de quoi financer, laissant croire qu’actuellement les personnels n’ont pas au quotidien ce souci dans les écoles, les collèges, les lycées ?
Pour lutter contre les inégalités, nous avons besoin d’un service public conforté et non miné par des dispositifs dérogatoires qui mettent à mal le cadre collectif national
Dans la lutte contre les inégalités, la voie professionnelle occupe une place incontournable et trop souvent sous-estimée, voire méprisée. La FSU vous demande une expression claire et ferme sur le maintien des lycées professionnels dans le ministère plein et entier de l’Éducation nationale. Elle rappelle son opposition ferme aux projets du président Emmanuel Macron de « révolutionner » ces derniers sur le modèle de l’apprentissage : système très discriminant, beaucoup plus onéreux que l’enseignement professionnel sous statut scolaire et dont 40 % des jeunes mineurs apprentis subissent des ruptures de contrats. Pour la FSU, lutter contre les inégalités sociales nécessite un grand plan d’investissement pour renforcer la voie professionnelle scolaire.
Plus largement, dans le second degré, la FSU vous demande de rétablir au plus vite des conditions d’exercice dignes partout dans les services, les écoles, les collèges et les lycées.
Partout, l’austérité budgétaire a dégradé les conditions de travail des personnels et les conditions d’étude des élèves… En cinq ans, celle-ci a abouti par exemple à la suppression de près de 7900 emplois dans le second degré alors même que les effectifs ont augmenté. Et dans le 1er degré, la mise en œuvre des politiques annoncées sans moyens suffisants désorganise les quotidiens professionnels et d’apprentissages des élèves. Le nombre de postes de remplaçants, de RASED doit être augmentés, et le dispositif plus de maîtres que de classes remis en place. La crise sanitaire a renforcé les inégalités. Les besoins en santé et en accompagnement social des élèves explosent : la politique éducative sociale et de santé doit être renforcée. La FSU rappelle que la santé à l’école doit rester l’affaire de l’ensemble de la communauté scolaire et donc sous votre responsabilité pleine et entière, Monsieur le Ministre. Il est urgent de créer des postes dans tous les métiers, enseignants, AESH, administratifs, techniques, d’encadrement, sociaux et de santé, des postes pour permettre à toutes et tous d’exercer leurs métiers dans de bonnes conditions de réalisation du service public d’éducation.
De même il faut en finir avec les réformes mal ficelées qui mettent tous les personnels enseignants comme administratifs ou d’encadrement en tension permanente. Il y a par exemple urgence à reconstruire le collège et le lycée : revenir sur les réformes du lycée, du bac, sur ParcourSup… Il ne faut pas seulement des « inflexions » pour reprendre vos mots du week-end, mais une remise à plat totale, en rupture claire avec le précédent quinquennat. Concernant les enseignements du 1er degré, prioriser de façon excessive et injonctive augmenter la part du français et des mathématiques dans les apprentissages des élèves exclut du champ scolaire nombre de savoirs et savoir-faire essentiels à la compréhension du monde, au développement d’une culture commune et à une scolarité réussie.
D’autre part, face à l’urgence environnementale, il est indispensable d’avancer rapidement sur la transition écologique : la FSU demande que soient rapidement identifiés des axes et une méthode de travail. Dans cette perspective, la révision et l’élargissement des cartes des formations technologiques et professionnelles au regard des secteurs d’activité fortement percutés par la transition écologique doivent par exemple être opérées sans céder à des visions court-termistes.
Le Président de la République a réaffirmé l’égalité femmes-hommes comme une grande cause nationale. Aujourd’hui le ministère de l’Éducation nationale accuse un retard bien identifié par la Fonction publique sur ce sujet. Sur le quinquennat, les inégalités salariales ont même été aggravées du fait des politiques menées et de la vision uniquement performative de l’égalité. Si la question est identifiée, le principe partagé la mise en actes de celui-ci reste désespérément en jachère La FSU, à l’offensive sur ce sujet, défend l’urgence de s’attaquer aux racines des inégalités et au combat important contre les violences sexistes et sexuelles. La rupture avec les politiques menées auparavant sur l’égalité femmes-hommes relève d’un enjeu social et démocratique.
Monsieur le ministre, il n’est pas simpliste d’opposer la nécessaire rupture avec une prétendue continuité. C’est tout simplement réaliste au regard de l’état d’urgence dans lequel se trouve le service public d’Éducation, à l’image de la situation des hôpitaux. Et c’est cette urgence qui impose des mesures fortes :
- revalorisation sans contrepartie, pour qu’il soit emblématique pour reprendre vos propres mots, le dégel du point d’indice devra prendre en compte la situation économique ainsi que les pertes de pouvoir d’achat de ces dernières années
- améliorer les conditions de travail
- remettre à plat des réformes de la formation initiale
- amélioration de notre système éducatif