Mesdames et messieurs les membres du CSAMEN,
Nous nous retrouvons près d’un mois après la rentrée scolaire et contrairement à ce qu’a affirmé la nouvelle ministre de l’Éducation nationale lors de son premier discours, cette rentrée n’a pas été « réussie ». Il manquait des professeur·es à la rentrée (au moins un·e professeur·e dans 56 % des collèges et des lycées), il en manque toujours comme en attestent les exemples édifiants tant dans le premier degré que le second degré. Il reste également beaucoup d’élèves sans AESH. Plus de 13 800 élèves étaient encore sans affectation deux semaines après la rentrée, notamment pour accéder aux lycées professionnels, et voient leur droit à l’éducation entravé. Continuité du service public, droit fondamental des enfants, l’État n’est tout simplement plus en mesure d’assurer des engagements et principes pourtant garantis par la loi, ce qui lui vaut d’ailleurs régulièrement des condamnations devant les tribunaux. Des Dasen rédigent même des circulaires pour palier au remplacement dans le premier degré en supprimant les formations REP+, en fusionnant les classes dédoublées et en envoyant les enseignant·es effectuer des remplacements, en réquisitionnant les personnels RASED … Dans le second degré, l’administration semble prête à tout pour réussir la saison 2 du Pacte, après l’échec de la saison 1. Assèchement des HSE pour tordre le bras des collègues afin qu’ils assurent du RCD en pacte, pressions diverses…quand comprendrez-vous que ce n’est pas aux personnels d’assumer la responsabilité de votre incapacité à assurer les remplacements ?
Voilà où nous ont conduits les politiques menées depuis 2017 qui ont considérablement asphyxié l’École publique. Et pourtant, le cap ne changera pas ! Ainsi, Anne Genetet, probable éphémère ministre de l’Éducation nationale a donc annoncé que « le paquebot garderait le cap » mais qu’elle souhaite changer la vitesse. La question reste entière : le Titanic touchera-t-il l’iceberg dans 3 mois ou dans un an ? Ce souci du détail temporel n’est pas de nature à nous rassurer, même si cela laisse plus de temps à la ministre et son équipe pour jouer de la musique sur le pont pendant que le bateau coule.
Le cap fixé n’est pas le bon, il conduit aujourd’hui à ce que l’École publique soit à un point de bascule, dans une crise structurelle, de laquelle il lui faudra du temps pour s’en remettre. C’est ce que les organisations syndicales ont majoritairement pu dire depuis 18 mois se heurtant bien souvent à un mur. L’absence de prise en compte des avis des organisations syndicales représentatives des personnels, en CSAMEN, en CSE ou encore en formation spécialisée ministérielle, montre une volonté assumée de ne pas faire fonctionner la démocratie sociale. Il ne suffit pas de dire qu’on est favorable au dialogue social pour le pratiquer. Cela se traduit également dans les départements où certains Dasen et Recteurs, sans réelles consignes du ministère, refusent le dialogue, interprètent les textes et entravent le droit syndical.
Le gouffre qui se creuse entre la réalité et le satisfecit régulier des ministres qui se succèdent à la tête du « paquebot de l’Éducation Nationale » met à mal le service public dans son ensemble et contribue à aggraver le discrédit de la parole politique. Depuis 18 mois, nous avons dû faire face à cinq ministres de l’Éducation nationale et à une avalanche de réformes qui mettent à mal le système et qui sont imposées au mépris de la profession. Durant toute cette période, la communication a primé sur l’intérêt des élèves et des personnels. Tous les signaux sont au rouge et il serait bon que celles et ceux qui nous dirigent mesurent l’intensité d’un mouvement à bas bruit dans nos rangs : démissions, repli sur soi, désengagement des projets divers… à force de malmener les personnels, les ministres qui se succèdent ne gouvernent plus contre les personnels mais sans elles et eux.
Preuve de ce fossé entre la parole et les actes, le storytelling présidentiel autour du prétendu héritage des JOP. Plusieurs athlètes médaillé·es ont fait référence à l’EPS et à l’association sportive scolaire, car c’est à l’école qu’ils y ont débuté leur sport. L’EPS et l’UNSS sont de formidables outils de développement du sport pour l’ensemble de la jeunesse. Or, depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron ce sont plus de 1000 postes qui ont été supprimés en EPS, soit autant de forfaits d’animation des associations sportives scolaires. Vous avez dit héritage ? Plus certainement la médaille d’or de la récupération politique.
Nous sommes dans une crise politique sans précédent provoquée par le Président lui-même qui, par sa politique et ses actes, a largement contribué à installer et légitimer l’extrême droite. Or cette dernière est l’ennemie de l’École, de ses élèves et de ses personnels. Elle s’oppose au projet émancipateur de l’École publique : à ce titre, nous vous interpellons sur les agissements, de plus en plus nombreux, de groupes réactionnaires et d’extrême droite en campagne contre la mise en place de l’EVARS. Distribution de tracts, menaces contre les directrices et directeurs d’écoles, les professeur·es, les chef·fes d’établissement, désinformation… ces faits sont graves. Les personnels doivent être protégés et le ministère doit assumer l’ambition éducative et citoyenne de ce programme qui doit rapidement être publié. Il est temps aussi que la ministre prenne la mesure du rejet du choc des savoirs par la communauté éducative. Les classes prépa 2de font un flop et nombre de collègues ont suivi notre appel à ne pas trier les élèves dans des groupes de niveaux en 6ème et en 5ème. Modèle d’École passéiste et conservatrice qui assigne les élèves à leurs conditions sociales et scolaires tout en remodelant les contours du métier enseignant, par exemple à travers la labellisation des manuels ou les nouveaux programmes de cycle 1 et 2, il est temps d’abroger le Choc des savoirs.
La politique menée par Emmanuel Macron a considérablement affaibli les services publics ce qui a contribué à nourrir la crise démocratique. Les discours du premier ministre et de son ministre de la Fonction publique sur les suppressions de postes de fonctionnaires, les fusions de services et la prétendue débureaucratisation du pays sont inquiétants et dangereux pour l’avenir des services publics et de la cohésion sociale. A cet égard, les projections faites par l’IGF jouant cyniquement de la baisse démographique pour supprimer des emplois, fermer des écoles et des collèges sont hors sol.
La FSU attend des engagements précis sur le futur schéma d’emplois 2025 et pour cela il faudra enfin faire la lumière sur les manœuvres budgétaires de l’ex-ministre Gabriel Attal en décembre dernier en faisant un bilan sincère des moyens d’enseignement gelés ou mobilisés au titre du budget 2024.
Il serait insincère de se projeter sur un nouveau budget sans ces informations ! Et s’il faut participer au grand concours Lépine du moment : plutôt que de faire appel à des retraité·es qui sont parti·es souvent sans regret de l’Éducation nationale, supprimons le SNU, l’uniforme et le Pacte et utilisons les sommes dédiées pour des mesures de revalorisations sans contreparties.
Les réformes citées mais aussi celle de la formation initiale ou celle des lycées professionnels vont conduire à la destruction progressive du service public d’éducation. Le douloureux déploiement d’Opale ou bien la réforme des bourses du second degré dégradent fortement les conditions de travail des équipes de personnels administratifs et rendent plus difficile l’exercice de leurs missions, au service du public.
Nous souhaitons attirer votre attention sur la situation des AESH, une nouvelle fois très dégradée en cette rentrée. La mise en œuvre de l’accompagnement durant la pause méridienne se révèle une véritable usine à gaz. Cela se traduit par des bricolages imposés aux AESH : heures imposées sur le temps de cantine, bascule d’heures scolaires sur le périscolaire etc. Bien loin des annonces d’amélioration du temps de travail mises en avant par le ministère ! La FSU exige des moyens supplémentaires pour respecter les engagements pris et l’ouverture de discussions sur l’avenir professionnel des AESH.
Par ailleurs, en matière d’égalité professionnelle, les diagnostics sont posés, à quand les actes, en particulier sur les rémunérations, la lutte contre les VSS et la santé des femmes ? Les ministres passent plus vite que les années mais la cause des femmes dans un ministère féminisé à 72 % n’avance pas : va-t-on vers une nouvelle année blanche en matière d’égalité professionnelle ?
Aujourd’hui nous allons discuter des LDG concernant la mobilité des personnels et là-aussi, nous ne pouvons qu’être inquiet·es parce qu’elles vont dégrader à nouveau les conditions de travail des enseignant·es et les conduire pour certains à quitter l’Éducation nationale. La mobilité des enseignant·es est un élément clé de l’attractivité du métier, s’engager dans une fonction sans possibilité de muter les premières années conduisent beaucoup de volontaires à ne pas s’engager. C’était d’ailleurs un des chantiers engagés par Gabriel Attal, il y a un an qui n’a pas abouti mais certainement parce que ce chantier n’est pas médiatique et ne permet pas de valoriser son action. Le texte proposé pour ces trois prochaines années ne présente rien de nouveau si ce n’est du toilettage alors que nous alertons sur les difficultés de mobilité depuis des années. Cet exercice de revoyure se déroule dans un contexte où la mobilité dans le premier degré est totalement sclérosée créant de la désespérance pour bon nombre de personnels. Les attentes de la profession sur cette question sont pourtant fortes. Il est urgent de trouver des solutions qui passent par le fait de décorseter le mouvement interdépartemental pour faire remonter le taux de satisfaction et faire évoluer le barème. Tous les personnels doivent avoir enfin des perspectives à plus ou moins long terme.
La défiance des personnels vis-à-vis de l’ensemble des opérations de gestion, en particulier le mouvement est le fruit de l’opacité dans laquelle l’administration mène ces opérations depuis l’adoption de la LTFP et notamment l’absence de contrôle par les élu·es des personnels lors des CAP. La FSU a dénoncé la LTFP et en demande toujours l’abrogation.
Dans le second degré, la FSU porte des propositions pour améliorer la mobilité des enseignant·es, CPE et Psy-EN tout en assurant l’effectivité du service public d’éducation dans tous les territoires. Cela passe notamment par un plan pluriannuel de recrutements adossé au renforcement de l’attractivité (rémunérations et conditions de travail) et le retour à un mouvement national en un seul temps au barème et où les vœux peuvent être des vœux précis. A ce sujet, depuis un an, nous entendons parler ici d’un groupe de chercheurs très occupés à faire des projections sur une refonte du mouvement. Au bout d’un an, même s’ils n’ont pas abouti, nous ne doutons pas que les chercheurs ont commencé à trouver et il serait temps de partager ces travaux, même partiels avec les organisations syndicales représentatives.
Demain, se tiendra un GT sur les LDG stratégiques. La lecture du document de travail est édifiante : retour par la fenêtre de la réforme de la formation, confirmation des grandes lignes de dynamitage du statut déjà à l’œuvre dans le cadre de la loi TFP, bases posées pour une nouvelle phase de déconcentration, voire de décentralisation, ouvrant la voie à une gestion différenciée des personnels en fonction des territoires. C’est un acte 2 de la loi TFP dont nous ne voyons pas en quoi il serait de nature à répondre aux défis auxquels le système éducatif est confronté.
Enfin à quelques jours de l’hommage à nos collègues assassinés Samuel Paty et Dominique Bernard, la FSU tient à rappeler la force de l’École publique laïque, l’importance de ses personnels qui doivent être soutenus et confortés. L’École publique laïque crée les conditions de l’émancipation en protégeant de tout prosélytisme et en faisant cesser en son sein toutes les assignations. Cela doit être préservé et expliqué. Y faire venir, étudier, s’épanouir tous les jeunes doit être une exigence nationale. Il est urgent que la République soutienne pleinement son école, la seule école de toute la jeunesse vivant dans ce pays. L’École publique laïque doit recevoir les moyens humains et matériels lui permettant de faire vivre ses ambitions intellectuelles et civiques. Les choix politiques permettent-ils d’en prendre le chemin ? Il est permis d’en douter …